Analyse et résumé de l’article intitulé
«以反求正与以正求正 —— 论武术与奥林匹克运动的不可兼容»
(«Chercher le Positif par le Négatif et le Positif par le Positif – Analyse de l’Incompatibilité entre le Wushu et le Mouvement Olympique»),
rédigé par Wang Gang et Qiu Pixiang et publié dans la revue 体育文化导刊 (Guide de la culture sportive – numéro de juillet 2006).
Dans cet article, les auteurs cherchent à comparer le wushu (l’art martial chinois) et le mouvement olympique sous l’angle de leurs racines culturelles et de leurs valeurs philosophiques fondamentales. Ils soutiennent qu’en raison de leur différence de socle culturel, le wushu et le mouvement olympique seraient incompatibles, au point qu’il est illusoire de vouloir faire entrer le wushu tel quel dans les épreuves officielles des Jeux olympiques.
Le texte part du constat que le wushu n’a pas été intégré comme épreuve officielle au programme des Jeux olympiques de Pékin 2008. Or, beaucoup d’acteurs en Chine militent depuis des décennies pour cette reconnaissance olympique. Les auteurs posent alors la question :
« Faut-il vraiment que le wushu entre aux JO ? Et si le wushu envisageait, au lieu de cela, un autre chemin de développement international, plus conforme à ses valeurs propres ? »
Leur hypothèse est que le wushu, en tant que forme de culture traditionnelle chinoise, n’est pas seulement un sport de compétition. Il renferme d’importantes valeurs philosophiques et morales, en partie incompatibles avec le « culte de la performance » caractéristique de l’olympisme moderne.
Environnement agricole : La Chine, marquée par de vastes plaines fluviales, possède une civilisation millénaire fortement influencée par l’agriculture. Cela a favorisé une culture dite « de la terre », tournée vers la stabilité, l’harmonie et le maintien de l’ordre social.
Longue tradition impériale : Le pays est resté unifié pendant de nombreux siècles, permettant l’essor d’une culture lettrée et confucéenne, avec une importance donnée à la morale, à l’harmonie et à la relation hiérarchique.
Évolution du wushu : Le wushu (武术) s’est développé sur un socle de pratiques de combat, mais s’est très tôt teinté de pensée philosophique (confucianisme, taoïsme, bouddhisme). D’où une insistance sur la vertu, la modération, la recherche de l’équilibre (« ne pas combattre pour tuer ») et l’idée de maîtriser son art pour élever l’esprit.
Civilisation gréco-romaine : L’antique culture grecque était fondée sur la coexistence de cités-États (les « polis »), avec un climat concurrentiel, la célébration du héros (combattant ou athlète) et la valorisation de la force.
Expansion maritime, conquêtes : L’Occident, depuis le Moyen Âge et surtout l’Époque moderne, s’est tourné vers la maîtrise de la mer, l’exploration, l’expansion coloniale, nourrissant un esprit de compétition et de domination.
Modernité et révolution industrielle : L’olympisme moderne (rétabli au XIXᵉ siècle par Pierre de Coubertin) est associé à l’essor du capitalisme et de la science occidentale, véhiculant les idéaux du progrès, de la performance et du dépassement de soi.
Les auteurs formulent deux concepts clés pour caractériser le wushu et le mouvement olympique :
以反求正 (yǐ fǎn qiú zhèng) : « Chercher à atteindre le positif par le négatif, ou à résoudre un problème par son opposé. »
C’est, selon les auteurs, le trait caractéristique de la pensée traditionnelle chinoise, marquée par l’importance du yin-yang, de la ruse, de la flexibilité, de la notion « retirer sa force pour vaincre » (ex. « quatre onces contre mille livres »).
Dans le wushu, on retrouve cette idée à travers des principes de posture défensive, de contre-attaque, de modération, la non-agression, et la primauté accordée à la morale plutôt qu’à la victoire.
以正求正 (yǐ zhèng qiú zhèng) : « Chercher à atteindre le positif par le positif. »
Les auteurs l’associent à l’esprit occidental de compétition frontale et directe, où l’on privilégie la conquête, la supériorité par la force, l’exaltation de la vitesse, de la puissance, du record.
C’est la logique dominante de l’olympisme : l’idéal de « plus vite, plus haut, plus fort » (citius, altius, fortius) est vu comme une manifestation culturelle de la civilisation occidentale basée sur l’efficacité, la compétition, la maîtrise technique et la mise en scène de la performance.
Les auteurs insistent sur le fait que le wushu ne se réduit pas à un « sport de combat ». Il existe effectivement une dimension compétitive moderne (les « routines » ou « taolu », les épreuves de sanda…), mais le wushu reste un univers complexe, imprégné de :
武德 (wǔ dé) : la vertu martiale, « d’abord la morale, ensuite l’art ». Dans la tradition chinoise, on apprend à respecter un code d’honneur, à cultiver l’humilité, la politesse, l’harmonie et la mesure.
Philosophie du soft power : « Gagner sans combattre » (孙子兵法 : « 不战而屈人之兵 »), la logique du yin-yang, la valeur du souple face au dur.
Recherche introspective : L’entraînement vise aussi une élévation personnelle (maîtrise du souffle, cultivation de l’esprit). On parle souvent de « 修炼 » (xiū liàn) : s’entraîner dans la durée pour s’améliorer moralement et physiquement.
À l’inverse, l’olympisme moderne, tel qu’il s’est développé en Occident, véhicule des principes très différents :
Esprit de conquête et de confrontation positive : On se mesure directement, l’objectif est de battre un record, d’être numéro un.
Centralité de la performance mesurable : Chronomètre, distance, hauteur, force… Les règles privilégient les sports où la victoire est objectivable (temps, points, etc.).
Moindre dimension spirituelle/mystique : Bien que l’olympisme embrasse l’idéal d’excellence et de fraternité, c’est avant tout la performance sportive, la compétition et le dépassement de soi qui dominent.
Les auteurs concluent que, dans le cadre du « choc culturel » entre le wushu et l’olympisme, il existe un fossé de valeurs trop grand :
Wushu = culture « introspective », où la compétition n’est pas le cœur du système, où l’on valorise la moralité, l’harmonie, la relation maître-disciple, etc.
Olympisme = culture « extravertie », focalisée sur la prouesse, le record, le conflit résolu par la force ou la vitesse dans les règles du jeu, et la dimension universelle de la confrontation.
Pour les auteurs, vouloir intégrer le wushu dans les JO impliquerait de le transformer radicalement, de le soumettre à des normes occidentales (chronométrage, scoring, etc.) qui dénatureraient son essence. Ils y voient donc une incompatibilité plus profonde que le simple refus du Comité international olympique : c’est un conflit entre deux systèmes de pensée (以反求正 vs 以正求正).
Une autre voie pour le wushu : Au lieu de forcer le wushu à se conformer aux standards de l’olympisme, les auteurs proposent de l’assumer comme patrimoine culturel chinois à part entière, et de développer sa réputation internationale sur ses spécificités culturelles (philosophie, moralité, aspects traditionnels, etc.).
S’insérer dans la « mondialisation plurielle » : Même si l’olympisme domine largement le paysage sportif mondial, la modernité n’est pas nécessairement synonyme d’uniformisation totale. Ils suggèrent de tirer parti du courant de diversité culturelle pour promouvoir un wushu respectueux de ses origines.
Reconnaître la valeur propre du wushu : Le wushu peut certes comporter une composante sportive et compétitive, mais son cœur reste un art culturel, un véhicule de traditions chinoises. Mieux vaut le préserver dans sa richesse authentique que le transformer en simple discipline de médaille.
Les auteurs affirment qu’il est vain d’« occidentaliser » complètement le wushu. La globalisation sportive dominée par l’olympisme n’est pas la seule voie pour exister à l’international. Le wushu, tant qu’il conserve son essence (武德, harmonie, technique, philosophie, etc.), peut occuper un rôle culturel unique à l’échelle mondiale. Son « incompatibilité » avec l’olympisme n’est donc pas un handicap définitif, mais plutôt un point de départ pour construire une autre forme de reconnaissance internationale, fondée sur la diversité culturelle et la valeur patrimoniale du wushu.
王岗, 邱丕相. «以反求正与以正求正——论武术与奥林匹克运动的不可兼容» [Chercher le Positif par le Négatif et le Positif par le Positif : Analyse de l’Incompatibilité entre le Wushu et le Mouvement Olympique], 体育文化导刊, 2006(7): p.16-20.
Chez Wushu Smart Lab, nous partageons pleinement l’idée que l’orientation de plus en plus « olympique » du Wushu de compétition s’est soldée par un véritable échec. Malgré les efforts acharnés pour s’intégrer aux Jeux, la situation actuelle des arts martiaux chinois n’a jamais été aussi préoccupante : déconnexion des racines culturelles, perte d’authenticité, et intérêt décroissant du public.
Nous pensons qu’une nouvelle dynamique pour les arts martiaux chinois ne peut passer que par un retour aux pratiques traditionnelles – celles qui valorisent la dimension culturelle et philosophique du Wushu – enrichies de méthodes d’entraînement modernes. L’appui de la science du sport et d’une pédagogie adaptée permettront de maintenir l’exigence technique et la rigueur, sans dénaturer l’héritage séculaire qui fait tout le sens du Wushu. Autrement dit, l’avenir des arts martiaux chinois ne réside pas dans la course au « plus vite, plus haut, plus fort », mais dans la revalorisation d’un art complet, ancré dans sa tradition et porté par des approches innovantes.
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